NOTICED ? They’re all left handed[9] !... dit Hoover.
Il parlait à voix basse à Léonova, en cachant son micro de sa main. Léonova comprenait très bien l’anglais.
C’était vrai. Cela lui crevait les yeux maintenant que Hoover le lui avait dit. Elle s’en voulait de ne pas s’en être aperçue toute seule. Tous les Gondas étaient gauchers. Les armes trouvées dans le socle d’Eléa, et dans celui de Coban qui s’était ouvert à son tour, étaient en forme de gants pour la main gauche. Et l’image du grand écran, en ce moment même, montrait Eléa et Païkan en train de s’entraîner parmi d’autres Gondas au maniement d’armes semblables. Tous tiraient de la main gauche, sur des cibles de métal, de formes diverses, qui surgissaient brusquement du sol et qui résonnaient sous l’impact des coups d’énergie. C’était un exercice d’adresse, mais surtout de contrôle. Selon la pression exercée par les trois doigts repliés, l’arme G pouvait courber un brin d’herbe ou pulvériser un rocher, broyer un adversaire ou seulement l’assommer.
Une cible ovale se dressa soudain à dix pas devant Païkan. Elle était bleue, ce qui signifiait qu’il fallait tirer avec le minimum de puissance. En un éclair, Païkan enfonça sa main gauche dans l’arme fixée à sa ceinture par une plaque magnétique, l’arracha, leva le bras et tira. La cible soupira comme une corde de harpe effleurée, et s’escamota.
Païkan se mit à rire, il s’était réconcilié avec l’arme. Cet exercice était un jeu agréable.
Une cible rouge lui fut proposée presque aussitôt, en même temps qu’une verte se dressait à la gauche d’Eléa. Eléa tira en effectuant un quart de tour. Païkan, surpris, eut juste le temps de tirer avant que les cibles ne s’effacent. La rouge résonna comme un tonnerre, la verte comme une cloche. De toutes parts les cibles surgissaient du terrain et recevaient des coups violents, des chiquenaudes ou des caresses. La clairière chantait comme un énorme xylophone sous les marteaux d’un fou.
Un engin de l’Université survola la clairière, fit un peu de sur-place et vint se poser doucement derrière les tireurs. C’était un engin rapide. Il ressemblait à un fer de lance surmonté d’une coque transparente frappée de l’équation de Zoran.
Deux gardes universitaires en sortirent, en pectoral et jupe verts, l’arme G sur le côté gauche du ventre, une grenade S sur la hanche droite, le masque nasal en collier. Ils portaient la coiffure de guerre, les cheveux tressés en arrière, retenus par une épingle magnétique contre le casque conique aux larges bords. Ils allèrent d’un groupe à l’autre, interrogeant les tireurs qui les regardaient avec étonnement et inquiétude ; ils n’avaient jamais vu de gardes verts si bien armés.
Les deux gardes cherchaient quelqu’un. Quand ils furent près d’Eléa : « Nous cherchons Eléa 3-19-07-91 », dirent-ils. Ils étaient passés à la Tour et, la trouvant vide, s’étaient renseignés au Central du Temps. Coban voulait voir Eléa sans délai.
— Je vais avec elle, dit Païkan.
Les gardes n’avaient pas la consigne de s’y opposer. L’engin franchit le lac comme une flèche jusqu’à la Bouche, et se laissa tomber à la verticale dans la cheminée verte de l’Université. Il ralentit au débouché du plafond du Parking, s’approcha du sol au-dessus de la piste centrale, prit une piste de desserte et se présenta devant la porte des laboratoires qui s’ouvrit, et se referma derrière lui.
Les rues et les bâtiments de l’Université tranchaient par leur simplicité sur l’exubérance végétale du reste de la ville. Ici, les murs étaient nus, les voûtes sans une fleur, ou une feuille. Pas un ornement sur les portes trapézoïdales, pas le moindre ruisseau dans le sol de la rue blanche où l’engin poursuivait sa course, pas un oiseau en l’air, pas une biche surprise au tournant, pas un papillon, un lapin blanc. C’était la sévérité de la connaissance abstraite. Les pistes de transport avaient des sièges fabriqués et des rampes métalliques.
Eléa et Païkan furent saisis par l’activité anormale qui régnait dans la rue au-dessous d’eux. Des gardes verts en tenue de guerre, cheveux tressés et casque en tête, se déplaçaient à pleines pistes, sans s’étonner de voir passer au-dessus de leurs têtes cet engin auquel la rue, normalement, était interdite. Des signaux de couleur palpitaient au-dessus des portes, des appels de noms et de numéros retentissaient, des laborantins en robe saumon se hâtaient dans les couloirs, leurs longs cheveux enveloppés dans des mantilles hermétiques. Ce n’était pas le quartier des Etudes, mais celui des Travaux et Recherches. Aucun étudiant ne traînait par là ses pieds nus et ses cheveux courts.
L’engin se posa sur une pointe d’un carrefour en étoile. Un des gardes conduisit Eléa au labo 51. Païkan suivit.
Ils furent introduits dans une pièce vide au milieu de laquelle un homme en robe saumon, debout, attendait. L’équation de Zoran, timbrée en rouge sur le côté droit de sa poitrine le désignait comme chef-labo.
— Vous êtes Eléa ? demanda-t-il.
— Je suis Eléa.
— Et vous ?
— Je suis Païkan.
— Qui est Païkan ?
— Je suis à Eléa, dit Païkan.
— Je suis à Païkan, dit Eléa.
L’homme réfléchit un instant.
— Païkan n’est pas convoqué, dit-il. Coban veut voir Eléa.
— Je veux voir Coban, dit Païkan.
— Je vais lui faire savoir que vous êtes là. Vous allez attendre.
— J’accompagne Eléa, dit Païkan.
— Je suis à Païkan, dit Eléa.
Il y eut un silence, puis l’homme reprit :
— Je vais prévenir Coban... Avant de le voir, Eléa doit passer le test général. Voici la cabine...
Il ouvrit une porte translucide. Eléa reconnut la cabine standard dans laquelle tous les vivants de Gondawa s’enfermaient au moins une fois l’an pour connaître leur évolution physiologique et modifier, le cas échéant, leur activité et leur nourriture.
— Est-ce nécessaire ? dit-elle.
— C’est nécessaire.
Elle entra dans la cabine et prit place sur le siège.
La porte se referma, les instruments s’allumèrent autour d’elle, des éclairs de couleurs jaillirent devant son visage, les analyseurs ronronnèrent, le synthétiseur claqua. C’était terminé. Elle se leva et poussa la porte. La porte resta fermée. Surprise, elle poussa plus fort, sans résultat.
Elle appela, inquiète :
— Païkan !
De l’autre côté de la porte, Païkan cria :
— Eléa !
Elle essayait encore d’ouvrir, elle devinait qu’il y avait dans cette porte fermée quelque chose de terrible. Elle cria :
— Païkan ! La porte !
II se lança. Elle vit sa silhouette s’écraser contre le panneau translucide. La cabine fut ébranlée, des instruments brisés tombèrent au sol, mais la porte ne céda pas.
Dans le dos d’Eléa, la cloison de la cabine s’ouvrit.
— Venez, Eléa, dit la voix de Coban.